mardi 6 novembre 2007

La France et son passé colonial Algérien

Le lent processus de la reconnaissance

Le 60e anniversaire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata , le 8 Mai 1945, est célébré cette année en France comme il ne l’a jamais été. A l’initiative d’associations d’enfants d’immigrés algériens comme Au Nom de la mémoire, de la Ligue des droits de l’homme ou encore du PCF pour ne citer que les manifestations les plus saillantes.
Le mur du silence se fissure. Il a fallu pour cela un "long travail de fourmis" comme pour d’autres événements d’importance, à l’exemple de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et sa violente répression, observe à juste titre le président de Au Nom de la mémoire, Mehdi Lallaoui. Mais si le silence est levé dans la société française, la reconnaissance officielle par l’Etat français, et à son plus haut niveau, est un processus qui mûrit lentement. Certes, des signes et des gestes dans ce sens ont été accomplis comme celui du maire de Paris qui a inauguré en 2001 une plaque sur le pont Saint-Michel à la mémoire des victimes de la répression du 17 octobre 1961 ; certes, un premier pas d’importance a été franchi au sujet des massacres du 8 mai 1945 par l’ambassadeur de France en Algérie. L’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, a affirmé, lors de sa visite à Sétif, le 27 février 2005, que les massacres du 8 mai 1945 commis dans le Constantinois étaient une "tragédie inexcusable".
Paroles et gestes symboliques
Faut-il s’arrêter à mi-chemin ? Le président d’Au Nom de la mémoire, Mehdi Lallaoui, traduit un sentiment largement partagé lorsqu’il dit : "Le président de la République française vient de commémorer le génocide arménien, c’est très bien ; mais la France ne s’est pas rendue coupable en Arménie, la France s’est rendue coupable en Algérie. Ce qu’on attend en ce mois de mai, et avant toute signature de pacte d’amitié, c’est une parole forte." Alors qu’il était en visite à Alger le 26 avril, Bertrand Delanoë déclarait que "la colonisation est un fait historique particulièrement regrettable" et "quand des fautes sont commises, tout le monde doit les regarder en face". Et à une question d’un journaliste : "Quand Willy Brandt s’est mis à genoux pour demander pardon au nom de l’Allemagne, il a grandi l’Allemagne", a-t-il jugé. "On ne s’abaisse pas quand on reconnaît ses fautes", affirme M. Delanoë. Même s’il a pris la précaution de commencer par préciser qu’il s’exprimait en tant que "citoyen", qu’il n’est pas "l’envoyé d’un parti politique" et qu’il n’a "aucune qualité pour parler au nom de la France", Bertrand Delanoë est tout de même un homme politique d’importance et maire de la capitale française. "Il faut oser la vérité", a dit encore M.Delanoë pour qui "la colonisation n’est pas un fait positif". L’ambassadeur Hubert Colin de Verdière, interrogé par Europe 1 après sa déclaration à Sétif, avait affirmé que "la voie se libère" et que le pardon interviendra "au moment opportun". "Pourquoi anticiper les étapes ?" Et d’indiquer que la prochaine étape dans les relations algéro-françaises sera le traité d’amitié. Lorsque son homologue algérien en France, Mohamed Ghoualmi, a remis lundi 2 mai une médaille de reconnaissance de l’Algérie à 8 militants anticolonialistes qui ont soutenu la lutte de Libération nationale (Henri Alleg, Anne Preisse, Janine Cohen, Simon Blumental, Lucien Hanoune, Jules Molina et, à titre posthume, Paul Caballero), il leur a affirmé : "L’Algérie vous honore non seulement pour votre passé, mais aussi pour l’avenir, l’avenir des relations algéro-françaises." Et l’avenir des relations algéro-françaises a pour fondement essentiel la restitution du passé en toute objectivité, sans occultation, sa transmission aux jeunes générations qui, pour mieux construire leurs identités citoyennes, ont besoin de connaître ce passé.
Mises en garde contre l’imposition d’une vérité officielle
La reconnaissance est une étape essentielle de l’écriture par la France de son histoire coloniale. "Dans la mesure où des officiels français invitent d’autres pays à réviser leur histoire, ils devraient donner l’exemple et se départir d’un rapport schizophrénique à la leur. L’article IV de la loi du 23 février 2005 adoptée par la représentation nationale n’est pas un pas dans la bonne direction. Fort heureusement, cette loi a suscité une levée de boucliers chez les historiens", estime Mohamed Harbi (lire interview dans les pages de ce dossier). L’enseignement de l’histoire coloniale trouve ses limites dans la loi du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" et, plus particulièrement, son article 4. Des centaines d’historiens et d’enseignants demandent l’abrogation parce que "cette loi, en ses articles 1er et 4, a des implications sur l’exercice de notre métier : elle dénature les engagements scientifiques, pédagogiques, civiques de notre discipline". Les enjeux de mémoire semblent avoir animé les rédacteurs et les députés qui ont adopté cette loi (une trentaine de députés présents dans l’hémicycle ce vendredi 23 février 2005). Dans leur plateforme de demande d’abrogation, les historiens considèrent qu’en ne retenant que le "rôle positif" de la colonisation comme vérité officielle, elle (la loi du 23 février 2005) impose un mensonge officiel sur des ignominies, le travail forcé, le racisme inhérent au fait colonial, des crimes qui purent aller jusqu’au massacre de masse, toutes vérités qui pèsent encore lourd sur le présent. Des victimes, l’historien doit parler de toutes, sans exclusive, et pas seulement de celles liées au processus d’indépendance des colonies"... "C’est une loi de glaciation. Elle va à l’encontre des acquis de la recherche historique et des aspirations des derniers témoins de cette histoire qui souhaitent mettre fin aux entrechocs du passé pour engager des débats sereins". "Elle encourage ceux qui réactivent aujourd’hui les réflexes nationalistes et conforte, par contrecoup, ceux qui prônent l’enfermement communautaire des groupes disqualifiés, ainsi interdits de passé."
Combat d’arrière-garde ?
L’historien Gérard Noiriel note que "les enjeux de mémoire sont devenus des enjeux politiques majeurs dans la société actuelle" (ndlr : conférence de presse sur la loi du 23 février 2005 au siège de la Ligue des droits de l’homme, El Watan, avril 2005). Charles-Robert Ageron a également mis en garde contre la "guerre des mémoires" parce qu’"elle est irrémédiable". "Il faut arriver à historiser la guerre d’Algérie." Et d’ajouter : "Les enfants ont le droit de connaître la même vérité, la même histoire scientifique, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée." Mais "c’est trop tôt de faire l’histoire neutre, impartiale, honnête que méritent les Algériens et les Français" (colloque les 23, 24 et 25 novembre 2003, qui lui rendait hommage et auquel une quarantaine d’historiens français et algériens y avaient pris part). Gérard Noiriel estime que "le fait d’ordonner aux enseignants de mettre l’accent sur les "aspects positifs" de la colonisation ne peut que contribuer au sentiment d’humiliation dont souffrent aujourd’hui la majorité des Français issus de l’immigration et dont beaucoup ont subi dans leur chair les violences coloniales. Cette humiliation supplémentaire risque d’accentuer le repli sur soi que l’on constate chez certains d’entre eux." (op. cit.). Claude Liauzu, professeur émérite à l’université Denis-Diderot, Paris 7, un des principaux initiateurs de la pétition demandant la suppression de la loi explique : "Nous avons réagi, parce que, historiens, nous ne pouvons accepter qu’une loi nous impose une vérité officielle, quelle qu’elle soit. Nous aurions affirmé le même refus si les parlementaires avaient prétendu nous faire dire que la colonisation a été une réalité négative." (Ndlr : El Watan du jeudi 14 avril.) Il ajoute : "C’est une loi de règlement de compte. Ce texte, si aberrant qu’il ne peut pas faire autorité, a été adopté par une poignée de députés dans des conditions inacceptables." "A l’aube du XXIe siècle, on prend en otages - d’une guerre de mémoire qui n’a jamais cessé depuis 1962 - les petits-enfants des protagonistes ; on prend en otage la nation au profit d’activistes de la nostalgérie." Selon Claude Liauzu, ce qui se cache sous ce texte de loi est encore plus inquiétant. "Les élus et le gouvernement devraient s’informer sur certains de leurs conseillers, sacrés historiens pour l’occasion comme le Cercle algérianiste." L’historien Mohamed Harbi rappelle que "depuis des années nous essayons de parvenir à un dégel et de faire travailler ensemble des historiens algériens et français. Cette loi vient au secours du parti de la glaciation ici comme en Algérie". (Ndlr : El Watan du jeudi 14 avril.) Dans un texte signé par de très nombreuses personnalités, la Ligue des droits de l ’homme souligne qu’"en dictant une vision partielle et partiale de l’Histoire, le Parlement tente d’exonérer la République de ses responsabilités... Oublier les centaines de milliers de victimes qu’a entraînées la volonté d’indépendance et de dignité des peuples que la France a colonisés, c’est nier les atteintes aux droits de l’homme qu’ils ont endurées et les traiter, ainsi que leurs descendants, avec mépris".
Un message pour l’avenir
En s’adressant au groupe d’anticolonialistes qu’il a reçus à l’ambassade d’Algérie, le représentant de l’Etat algérien en France a souligné : "Vous donnez une image censée représenter les valeurs de la République française. Vous avez été impliqués dans une lutte au nom de valeurs que vous avez estimées être celles de votre pays." Et après avoir noté "une remontée du néocolonialisme dans certaines franges de la société française", l’ambassadeur algérien, relevant les noms chrétiens et juifs des hôtes de l’Algérie, a souligné : "C’est un message formidable pour l’avenir de nos deux pays." Ce n’est pas là une parole de diplomate, mais une conviction largement partagée des deux côtés de la Méditerranée.
Les principales dispositions de la loi du 2 février 2005 portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés »
Article 1er : Reconnaissance de l’œuvre de la France outre-mer « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage. »
Article 4 : Ce rôle positif sera enseigné « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. » Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée. »
Articles 5 à 11 : Droits des harkis
Article 13 : Indemnité forfaitaire (et non imposable) au bénéfice de « personnes [...] ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie [...], de condamnations ou de sanctions amnistiées [...] ».
Nadjia Bouzeghrane

Le contexte : la fin de la Seconde Guerre mondiale

Le contexte : la fin de la Seconde Guerre mondiale

La révolution nationale pétainiste avait renforcé en Algérie entre octobre 1940 et novembre 1941 les partisans d'un ordre colonial brutal, sous les ordres du général Weygand. Mais, avec le débarquement américain en novembre 1942, les conditions politiques changent. L'entrée en guerre de l'Afrique du Nord aux côtés des Alliés qui se prépare se traduit par une importante mobilisation : 168 000 Français d'Afrique du Nord3 sont mobilisés, soit 20 classes. La population d'Européens d'Afrique du Nord étant à cette époque de 1 076 000 personnes3, l'effectif sous les drapeaux en représentait donc 15,6 %, soit une personne sur six ou sept. Il faut donc souligner la faiblesse des effectifs laissés sur place4.
Pour la première fois est appliquée la conscription aux musulmans qui jusqu'alors en étaient dispensés, ce qui en conduit environ 150 000 sous les drapeaux. Ceci nécessite des égards vis à vis des populations indigènes. Messali Hadj, chef du principal mouvement nationaliste algérien, le Parti du peuple algérien (PPA, clandestin), reste cependant emprisonné. Ferhat Abbas, dirigeant des Amis du Manifeste et de la Liberté, demande que les musulmans qui s'apprêtent à entrer en guerre soient assurés de ne pas rester « privés des droits et des libertés essentielles dont jouissent les autres habitants de ce pays. »5.
Le 7 mars 1944, le Comité français de la Libération nationale adopte une ordonnance attribuant d'office la nationalité française, sans modification de leur statut civil religieux à tous les Indigènes disposant de certains diplômes tels que le certificat d'études, de décorations militaires, etc. En 1945, environ 62 000 combattants en bénéficient, ce qui suscite diverses oppositions dans certains milieux européens en Algérie. Les dirigeants nationalistes algériens espèrent alors beaucoup de la première réunion de l'Organisation des Nations unies à San Francisco le 29 avril 1945.

Prélude

Les massacres de Sétif et Guelma sont des répressions sanglantes d'émeutes populaires qui se sont déroulées en 1945 dans le département de Constantine en Algérie durant la période coloniale française.
Elles débutent le 8 mai 1945 : pour fêter la fin des hostilités et la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de l'audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations pacifiques de rappeler leurs revendications nationalistes. Après des heurts entre policiers et nationalistes, les manifestations dégénèrent en émeute et provoquent des jacqueries spontanées dans les régions de Sétif et Guelma. L'armée française exerce alors une répression qui va prendre des proportions considérables et durer plusieurs semaines1.
Il y aura parmi les « Européens » plus d'une centaine de morts et autant de blessés. Le nombre des victimes algériennes, difficile à établir, est encore sujet à débat ; les autorités françaises de l'époque fixèrent le nombre de 1165 tués, le gouvernement algérien avance le chiffre de 45 000, alors que suivant les historiens le nombre varie de 8 000 (Ageron, Charles-André Julien) à 20 000 victimes.
Il apparaît clairement aujourd'hui que le 8 mai 1945 a été une tentative insurrectionnelle avortée. Commémorée chaque années par les nationalistes, elle « a servi de référence et de répétition générale à l'insurrection victorieuse de 1954 »2.

Hamed Ladjine

« Les cadavres étaient incinérés au four à chaux »

Né en 1910, Hamed Tadjine a adhéré au PPA une année après sa création, soit en 1938. Avant cela, il a fait son service militaire à Souk Ahras et en Alsace, puis a été mobilisé pendant une année entre 1939 et 1940 à Constantine.
Il a participé à la manifestation du 8 mai 1945. Toujours rasé de frais, le visage amène, Hamed Tadjine, nonobstant son âge, a toujours bon pied bon œil, et surtout une mémoire fraîche. Ses paroles, bien qu’empreintes de solennité, sont truffées par moments d’humour. Nous n’en avons retenu que les faits n’ayant pas été racontés par Mohamed-Tahar Brahem, qui était à un moment donné son responsable dans le mouvement national.Selon lui, lorsqu’il y a eu des tirs de sommation, il a entendu crier derrière lui qu’il n’y avait pas lieu d’avoir peur, que c’étaient des cartouches à blanc ; il a répondu, pour avoir fait l’armée, que c’étaient des balles réelles. Alors, les gens à la fin du cortège poussaient de sorte que ceux de devant ne savaient où s’enfuir pour éviter les balles. Le lendemain, les gens du douar s’en prendront à des cantonniers parce qu’ayant entendu dire que les Français étaient en train de tuer les Arabes. Un couvre-feu d’environ un mois, sinon plus, a été établi. Comme tous les commerçants, Hamed a fermé son café situé à la place Saint-Cyprien, en face du marché couvert (aujourd’hui place Hassan Harcha). Pendant le couvre-feu, personne ne sortait, sauf quelques gosses vraiment courageux (et qui devaient faire attention) ou trop innocents pour avoir conscience du risque qu’ils couraient. En vérité, c’étaient leurs parents qui les envoyaient faire des courses, car on trouvait difficilement quoi manger, surtout vers la fin du mois du couvre-feu. Des gosses ou de vieilles personnes omnipotentes, seuls, eux, pouvaient sortir. Vers la fin du mois, on était sur le point de crever de faim. Les colons se servaient les premiers au marché, et tout ce qui restait comme denrées avariées était destiné (précision : vendu) aux Algériens. « Très tard, j’ai su que le couvre-feu servait aussi à cueillir les Algériens facilement. Quand un traître vous vendait, vous êtes fait comme un lapin. Donc, la milice pouvait venir chercher qui elle voulait parmi les Algériens pour le tuer. Personnellement, et beaucoup de mes frères aussi, je ne savais pas au début, plutôt je ne voulais pas le croire, qu’on cherchait les gens à domicile pour les tuer. Car si nous l’avions su, on se serait sauvés, car mourir en tentant de se sauver serait mieux que de se laisser cueillir froidement. Quelques jours après, mon gendre, qui travaillait comme ouvrier dans les Ponts et Chaussées, m’a envoyé sa fille pour me dire qu’il ne fallait pas sortir, car on tuait les gens qu’on trouvait dans les rues. Nous étions vraiment dans de beaux draps. Aussi louions-nous Dieu pour qu’on ne vienne pas nous chercher. Puis mon gendre me transmettra aussi le fait que dans les camions qui servaient au transport des gens qu’on arrêtait, il y avait des traces de sang. Cela s’explique par le fait qu’après qu’on avait abattu les gens, on les transportait de nouveau pour les emmener au four à chaux de Lavie, d’autant plus qu’on avait entendu parler de la venue d’une commission d’enquête. Pas de trace de massacres ! » Sauvés par un policier juif Autre chose : les familles des gens emprisonnés faisaient parvenir à ces derniers des couffins de victuailles par l’intermédiaire de leurs enfants. Si le premier jour, on avait accepté ces couffins, le deuxième jour, on les avait refusés, leur disant qu’on avait emmené les prisonniers à Alger ! En vérité, autrement dit, on les avait tués ! Dans le local de la gendarmerie, les gens arrêtés sont torturés, on les passait à tabac avant de les tuer. On les emmenait à moitié mort pour leur donner le coup de grâce à Kef El Boumba ou ailleurs près de Ardh El Kahla (terre noire), à la sortie de la ville de Guelma, sur la route de Constantine. A ce jour, Hamed se souvient du fait qu’il a dû sa vie sauve grâce à un policier juif. Il nous racontera ceci : « 10 jours après la manifestation, je me suis risqué dans la rue du Fondouk, où j’habitais et où j’habite toujours. J’ai vu Allaoua Aïssani, coiffeur près du local de Hafid, le tailleur. Je lui ai fait le geste de quelqu’un qui veut se raser la barbe, il me fit signe de le rejoindre. Et nous nous sommes cachés dans ce magasin. Il y avait aussi avec nous un autre jeune homme, Saâdi Salah. Le coiffeur ne pouvait pas aller à son magasin. Alors qu’il me faisait la barbe et que Hafid était près de la porte, voilà que quatre ou cinq miliciens armés arrivèrent tout d’un coup, à leur tête un policier juif du nom de Lévy. Je le connaissais parce que, parfois, il venait à mon café avec ses copains. Il leur arrivait même de ne pas payer. L’un des miliciens était un Maltais qui s’appelait Apape. Ce dernier commença à “gueuler”. Et les miliciens voulaient nous abattre en pointant leurs armes sur nous quand le policier juif leur dit : “Non, arrêtez, je les connais. Allez, regagnez vos domiciles, on vous a interdit de sortir de chez vous.” » Attention, beaucoup de juifs étaient des miliciens qui s’en sont donné à cœur joie en tuant les Arabes, ajoutera-t-il après un moment de repos. Enfin, il dira ceci : « Il y avait aussi des Algériens qui faisaient partie de la milice. » Et notre témoin de nous citer des noms, les noms des familles « amies de la France », comme on les appelait alors. Il faut relever une terrible lâcheté (une de plus) des autorités coloniales : « Des champêtres sont “lâchés” à travers les douars et collectaient les armes chez les paysans. Une fois les armes récupérées, on procédait à l’arrestation de leurs propriétaires et on les tuait sans pitié. » Le crieur public annoncera la levée du couvre-feu. Et aussi, sans qu’il le sache, le début de la guerre libératrice.
A. Boumaza

Chiheb Abdelmadjid

« Ils tiraient à la mitrailleuse »

Né en 1919, Chiheb Abdelmadjid a travaillé de 1942 à 1948 comme cheminot serre-frein sur la ligne Guelma-Constantine. Il nous raconte ce qu’il a vécu et vu le 8 mai 1945 et les jours funestes suivants. Le 7 mai 1945, nous étions six serre-freins dans le train n° 3202 de marchandises avec deux ou trois wagons voyageurs.
Déjà, ce jour-là, nous avons entendu parler d’une manifestation prévue pour le lendemain, comme celle qui a eu lieu le 1er mai. Nous avons passé la nuit à Constantine et le lendemain, le 8 mai, vers 9h, on a pris le train qui roulait doucement, et avec les manœuvres, nous devions arriver vers 16h à Guelma. Là, nous apprenons que les scouts musulmans étaient à El Karmette (lieu où devait démarrer la marche), et les Français étaient autour de la troupe philharmonique au kiosque à musique de la place Saint Augustin. J’habitais près de la gare, chez Michel le boucher. J’ai ramené mes effets et mon matériel de travail à la maison (la barre de serre-frein) et j’ai rejoint le cortège des manifestants qui empruntait alors la rue d’Announa. » Passons sur le début du massacre et suivons Abdelmadjid : « Pour regagner mon domicile, j’ai dû faire un grand détour par le côté est de la ville. Il y eut 14 jours de tueries sans interruption. Plusieurs cheminots ont été abattus, les uns sur les lieux de travail, d’autres après qu’on les eut cherchés à domicile. Parmi ces derniers, citons Salah Boumaza, contrôleur de wagons, et Ziouèche, conducteur, des militants indépendantistes. Habitant dans une maison en face de la poste, Ameg Mohamed, qu’on surnommait Lakbaili (le Kabyle), sous-chef de gare, était en gandoura en train de faire sa prière quand on est venu le chercher pour le tuer. C’est lui qui m’avait embauché. » « Deux ou trois jours après ce jour sombre du 8 mai 1945, armés jusqu’aux dents, des miliciens et des policiers sont venus et nous ont fait entrer dans la salle d’attente de la gare. Nous étions au nombre de dix-huit, soit trois brigades de six serre-freins chacune. Ils allaient ramener des camions pour nous transporter en dehors de la ville et nous tuer. Falanga, d’origine allemande, chef de service à la gare, qui avait déjà sauvé un Algérien, qu’on appelait Reguig, travaillant comme brigadier de manœuvres (fonction consistant à accrocher et à décrocher les wagons), en le ramenant chez lui et en l’y cachant, lorsqu’il nous a trouvés dans la salle d’attente, a vite appelé un sous-chef de gare, un Corsais, qui était en ville, et qui illico est venu à la gare à pied. Ces deux responsables nous ont enfermés à l’intérieur de la salle d’attente durant presque toute une nuit pour qu’on ne nous emmène pas à l’abattoir ! En colère, le sous-chef de gare dira à un moment donné aux miliciens que s’ils tuaient les cheminots, ils devraient les remplacer avec leurs femmes ! Ce jour, nous l’avions échappé belle. Dès le début des massacres, sur le train, il y avait toujours des soldats autour d’une mitrailleuse, qui tiraient à vue sur les Algériens qui innocemment se trouvaient de part et d’autre des rails. Par exemple, de Bentabouche à Guelma, soit sur une distance de 6 à 8 kilomètres, les premiers jours, les deux côtés des rails étaient jonchés de cadavres. Je les ai vus. Et ce sans parler des voyageurs qu’on abattait froidement à leur arrivée à la gare de Guelma. Tant de massacres et de morts, si bien qu’on disait (on le dit toujours dans le milieu des vieux) après ces massacres, que celui qui n’a pas été tué le 8 mai 1945 ne mourra jamais ! » Il nous raconte une autre anecdote non moins significative : « On nous a donnés, à nous les cheminots, un laissez-passer et, portant un brassard, nous pouvions ainsi circuler en ville. Alors, je devais aller au marché faire les courses pour mes voisins. Des courses ? C’était juste pour aller acheter des fèves. Les colons ordonnaient à certains Algériens, marchands de fruits et légumes, d’aller chercher les fèves. Les Français et les juifs se servaient les premiers et certains d’entre eux ne payaient même pas un sou. Je suivais la file, et c’est un chef de train, Frankie, un Maltais, que je trouvais en train de picoler, qui intervenait pour qu’on me remplisse le couffin, sinon les autres colons me le refusaient. J’achetais 10 à 15 kg. C’est ainsi que nous avions pu survivre. »
A. Boumaza

Les derniers rescapés

Les derniers rescapés, profondément marqués par l’horreur, ne peuvent oublier. Le souvenir de la macabre sauvagerie est toujours vivace chez Ahmed Acid, Aïssa Cherraga et Lakhdar Taarabit, qui ne veulent pas pardonner lorsqu’il s’agit, disent-ils, d’un génocide aussi effrayant mis en œuvre et efficacement exécuté.
Avec l’avènement du 60e anniversaire, ces octogénaires, qui font partie du dernier carré des survivants, estiment qu’ils doivent partager et expliquer aux différentes générations l’histoire de ce crime perpétré à l’encontre d’un peuple assoiffé de liberté. Avant de revenir sur un complot tramé contre le peuple algérien, il est important, disent-ils, de rappeler sommairement le climat moral et politique qui précède la tragédie. La presse colonialiste, porte-parole des colons, a exercé un rôle des plus néfastes, créant un courant d’opinion publique favorable à une terrible répression. Le 8 mai, qui a accéléré le processus de déclenchement de la glorieuse Révolution de novembre, était, d’après nos interlocuteurs, inévitable, eu égard à la désastreuse situation économique, sociale et politique prévalant à cette époque. A ce propos, Ahmed Acid (87 ans) révèle : « La situation économique des Algériens est des plus critiques. Les inégalités dans la distribution du ravitaillement sont flagrantes. Pour quelques kilogrammes (environ 8 kg) d’orge distribués mensuellement à chaque habitant des campagnes, les colons recevaient pour chaque tête d’animal plus d’un quintal d’orge. Cette sous-alimentation a engendré la famine, qui a emporté des milliers d’Algériens, alors que le cheptel des colons est mieux nourri et préservé contre toute épidémie. » Pour briser le mouvement national incarné par Messali Hadj, le pouvoir colonial a, en réponse aux résolutions du congrès des Amis du manifeste et de la liberté (AML), qui a réaffirmé en mars 1945 sa volonté de lutter pour un Etat algérien, avec son parlement, son gouvernement et ses couleurs nationales, selon Lakhdar Taarabit, préparé le scénario de cette fusillade à grande échelle. Pour étayer ses propos, le militant du PPA et un des organisateurs de la célèbre marche du mardi noir revient sur la mésaventure de Ferhat Abbas, qui a été arrêté avec le docteur Saadane dans le salon d’attente du gouverneur d’Alger, le 8 mai 1945 à 10h 30, au moment où ils s’apprêtaient à présenter au nom de l’AML leurs félicitations au représentant de la France. « Libéré le 16 mars 1946, Ferhat Abbas n’a eu vent du drame vécu par son peuple que deux semaines après son attestation », enchaîne le vieux Taarabit qui se remémore : « Il faut préciser que la première marche a eu lieu le 1er mai. Nous avons donné instruction à nos militants de défiler à côté des syndicats affiliés au Parti communiste algérien (PCA). Les mots d’ordre avancés étaient basés sur l’indépendance du pays et la libération de Messali Hadj, qui faisait peur à la force coloniale, même en étant déporté à Aïn Salah puis à Brazzaville. Le 3 mai, nous avons été informés par la direction nationale de l’imminente défaite de l’armée nazie et qu’il fallait nous préparer à organiser, le jour de la victoire des alliés, une marche pacifique afin d’exprimer l’aspiration de notre peuple à l’indépendance. Le 8 mai, la foule s’est rassemblée en nombre devant la mosquée de Langar d’où devait s’ébranler le cortège. Nos militants redoublaient les appels au calme et insistaient sur le caractère pacifique de la manifestation. Pour prouver notre bonne foi, des louveteaux scouts ont été placés à la tête du cortège. Nos bonnes intentions ont été accueillies par le feu des policiers, qui se sont énervés à la simple vue de l’emblème national confectionné la veille par Doumbri Aïssa à l’aide des tissus offerts par Bachir Amroune et Mohamed Fettache. L’infructueuse tentative du sanguinaire commissaire Olivieri, qui a voulu confisquer le drapeau, a accentué son indescriptible hystérie, qui s’est soldée par l’assassinat, à bout pourtant, du jeune Bouzid Saâl. Ce meurtre a galvanisé les marcheurs. Une main d’un militant reprend le drapeau. Un autre manifestant, Khalfi Khier, est, quelques mètres plus loin, abattu. C’est l’embrasement. Les gens qui couraient dans tous les sens avaient du mal à éviter les balles des policiers. » Le compagnon de feu Abdelhamid Benzine, Belaïd Abdeslem, Mhamdi Salah, Hacène Belkhired, Taklit Tayeb, Torche Mohamed, Bella Belkacem (dit Hadj Slimane), Cherfaoui et d’autres concepteurs de la marche du 8 mai, préparée dans le cercle de la Jeunesse musulmane algérienne (JMA), revient en détail sur la répression et les tortures subies par la population et tous les hommes arrêtés qu’ils soient impliqués ou non dans la manifestation : « Tout au long de la journée, les colons continuèrent leurs provocations, allant jusqu’à mutiler un Français connu pour ses sympathies pour les Algériens. De notre côté, nous avons continué à appeler au calme. A ce titre, il a fallu plus de trois heures au comité local dirigé par Si Mahmoud Guenifi et Maïza Noureddine pour calmer un millier de paysans et de militants de Beni Fouda venus venger les morts. Ils réclamaient, en outre, l’organisation de la résistance armée. Nos appels au calme n’ont hélas obtenu que les atrocités et les arrestations collectives. Pour ma part, j’ai été arrêté le 12 mai pour le motif de “participation à la manifestation et membre actif d’une organisation clandestine et hors la loi”. Pour nous extorquer des informations, nous avons connu les pires sévices de la torture... » Ahmed Acid (87 ans, un scout ayant participé à la marche, est arrêté le 12 mai 18945 pour atteinte à la souveraineté intérieure de l’Etat) prend le relais : « Nous avons été conduits vers les caves de la citadelle où étaient auparavant parqués les prisonniers italiens.
Dans les caves de la citadelle
Dans ces lieux infects, plus de 2000 détenus ont été entassés comme des rats. Nous nous mettions debout pour avoir de l’espace. Le capitaine Person, le tortionnaire du camp, a, avec les pratiques héritées du nazisme, déshumanisé des lieux où on avait à manger en 24 heures qu’un infâme morceau de pain de 25 à 30 grammes. La famine et l’épidémie du typhus ont fait beaucoup de décès. A cause de cette horreur, il y avait des morts vivants, de véritables squelettes qui titubaient jusqu’au moment où ils tombaient et restaient là dans le trou avant qu’on ne les ramasse. Des chiens affamés, les prisonniers italiens et les légionnaires se sont eux aussi mis de la partie. Cependant, cette pénible épreuve a cimenté les liens entre les Algériens, soutenus par mon ami Abdelhamid Benzine, Belaïd Abdeslem, Tayeb Taklit, qu’on appelait au cercle de la JMA, “le groupe des étudiants”. » En abordant le volet des cellules individuelles, l’ancien scout lance un grand soupire : « Les prisonniers envoyés par centaines aux chambres individuelles situées au-dessous du bureau de la place (2e bureau) n’ont pas eu la même chance. Ils périrent presque tous. Les plus chanceux, extirpés du trou des mois plus tard, sortent avec de graves troubles et séquelles psychiques et physiques. » L’octogénaire, qui se souvient de menus détails, insiste sur un autre fait important : « La foudroyante répression n’a pas empêché les scouts que nous étions à déposer les gerbes de fleurs au monument aux morts, et ce, sous le son du clairon tenu par Segheir Sabri qui a tenu tête à la bastonnade. » Aïssa Cherraga (85 ans), ayant été désigné par le parti comme le porteur du drapeau national, abonde dans le même sens : « Les intimidations proférées à l’encontre de responsables locaux du parti chargés par la direction nationale d’organiser et d’encadrer la marche n ’ont pas empêché les Algériens avides de liberté d’exprimer à travers cette marche qui s’est transformée en un effroyable cataclysme leur aspiration à l’indépendance. La sanglante réponse des forces coloniales ne s’oublie pas du jour au lendemain. Les plaies et les fosse communes creusées à Aïn Roua, Beni Aziz, Sétif, Amoucha et Aftis (Bouandas), où sont enterrés des milliers de martyrs, hantent de jour comme de nuit nos esprits marqués par tant de souffrances et de mutilations. En parlant du carnage de Bouandas, on doit savoir que l’oued Aftis et les grottes de la région ont emporté à jamais plus de mille corps des meilleurs enfants de ce généreux peuple. L’on ne doit pas non plus passer sous silence l’abject crime de la veuve Fabrer qui a, avec la complicité de l’armée française, découpé le corps de Smara Lahcène à la ferme Sebta (située à 15 km de Aïn El Kebira), puis servi comme menu à des chiens affamés des jours durant. On ne peut énumérer tout le mal fait à un peuple n’ayant pourtant demandé que son indépendance... » Abdelhamid Salakdji, président de la fondation du 8 Mai 1945, résume en quelques mots les sentiments des rescapés du carnage : « Ce génocide froidement programmé et ratifié au plus haut niveau ne peut demeurer éternellement impuni. La France, l’unique responsable de ce crime collectif, doit emboîter le pas à l’Allemagne et au Japon, qui ont pour les abominables crimes perpétrés lors de la Seconde Guerre mondiale demandé pardon. Et c’est par un tel geste qu’on pourra tourner la page. »
Kamel Beniaiche

l'histoire du Massacre sur Wikipédia

Prelude

Les massacres de Sétif et Guelma sont des répressions sanglantes d'émeutes populaires qui se sont déroulées en 1945 dans le département de Constantine en Algérie durant la période coloniale française.
Elles débutent le 8 mai 1945 : pour fêter la fin des hostilités et la victoire des Alliés sur les forces de l'Axe, un défilé est organisé. Les partis nationalistes algériens, profitant de l'audience particulière donnée à cette journée, décident par des manifestations pacifiques de rappeler leurs revendications nationalistes. Après des heurts entre policiers et nationalistes, les manifestations dégénèrent en émeute et provoquent des jacqueries spontanées dans les régions de Sétif et Guelma. L'armée française exerce alors une répression qui va prendre des proportions considérables et durer plusieurs semaines1.
Il y aura parmi les « Européens » plus d'une centaine de morts et autant de blessés. Le nombre des victimes algériennes, difficile à établir, est encore sujet à débat ; les autorités françaises de l'époque fixèrent le nombre de 1165 tués, le gouvernement algérien avance le chiffre de 45 000, alors que suivant les historiens le nombre varie de 8 000 (Ageron, Charles-André Julien) à 20 000 victimes.
Il apparaît clairement aujourd'hui que le 8 mai 1945 a été une tentative insurrectionnelle avortée. Commémorée chaque années par les nationalistes, elle « a servi de référence et de répétition générale à l'insurrection victorieuse de 1954 »2.

Rappel des faits

Le 8 mai 1945 devait constituer un jour marquant de l’histoire contemporaine puisque la journée de la victoire allait symboliquement mettre fin à la Seconde Guerre mondiale et officialiser la capitulation des troupes du IIIe Reich face aux Alliés. Le jour même, l’événement devait être commémoré un peu partout dans le monde par des défilés et des manifestations de joie. En Algérie, les nationalistes qui activaient notamment au sein du Parti du peuple algérien (PPA - interdit), dirigé par Messali Hadj (emprisonné à l’époque) et dont la couverture légale était constituée par une organisation à caractère frontiste, les Amis du manifeste et de la liberté (AML), association fondée en mars 1944 par Ferhat Abbas, décident d’organiser dans de nombreuses régions du pays des manifestations commémoratives distinctes en arborant en même temps que les drapeaux des Alliés celui de l’Algérie ainsi que des mots d’ordre indépendantistes, et en réclamant la libération de Messali. Une tentative similaire lors des commémorations du 1er Mai 1945 avait mobilisé des milliers d’Algériens dans des villes comme Tlemcen, Bougie, Oran (où il y avait au moins 1 mort) et Alger (où des heurts avec la police s’étaient soldés par 3 morts et 16 blessés, dont 3 policiers). Les manifestations du 8 Mai vont dégénérer dans l’est du pays, notamment à Sétif, Guelma, Kherrata, Annaba, Skikda et de nombreuses autres localités, et servir de prétexte à une répression des plus féroces. A Sétif notamment, 7 000 à 8 000 personnes encadrées par des militants du PPA et précédées par près de 200 Scouts musulmans algériens (SMA) arboraient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Vive Messali », « Pour la libération du peuple » et « Vive l’Algérie libre et indépendante ». Première victime du drame, le scout Saâl Bouzid qui portait le drapeau algérien et refusait de s’en dessaisir. Il est abattu par un policier. Une émeute s’ensuivra. Il en est de même à Annaba où l’on déplore un mort et un blessé. Et à Guelma où, durant la manifestation, des affrontements vont provoquer la mort d’un Algérien tandis qu’il y a des blessés, y compris du côté de la police. En fait, une grande partie des manifestants, au lieu de se disperser, vont s’attaquer aux Européens et à des biens et édifices publics. A Sétif, il y avait 29 morts et plusieurs blessés, y compris des personnalités de gauche, tel le maire socialiste tué (mais par qui ?) ou le secrétaire de la section communiste auquel les mains furent arrachées. Des émissaires se rendaient au même moment dans différentes localités de la région pour informer des incidents et mobiliser au djihad. Des groupes se rassemblent un peu partout. Le bilan va monter à une centaine d’Européens tués ainsi que quelque 150 blessés. Il ne s’arrêtera, cependant, pas là. La répression qui mobilise police et gendarmerie soutenues par des milices composées de civils européens, de l’armée de terre, de la marine (deux croiseurs ont bombardé les côtes) et de l’aviation (bombardements aériens) va être aveugle. Si les autorités françaises reconnaissent quelques milliers de victimes, les nationalistes s’en tiennent au chiffre de 45 000 Algériens (voire 80 000 pour certains) tués pour les jours qui ont suivi le 8 Mai. Des milliers d’autres, notamment dans les rangs du PPA et des AML, sont arrêtés, emprisonnés et parfois condamnés à mort. Certains attendront la proclamation de l’indépendance en 1962 pour pouvoir sortir de prison.

Hassan Remanoun

lundi 5 novembre 2007

Le Genocide au lieu de la promesse

Promesse avait été faite aux algériens appelés à combattre les nazis pour libérer la France : «Aidez-nous à libérer la France, vous aurez votre liberté». Ils sont partis par milliers combattre les nazis aux côtés des français et beaucoup n'en revinrent jamais. La fin de la guerre fut le début d'un rêve algérien écrasé par une répression sanglante au cours d'une manifestation populaire non-violente d'algériens réclamant leur indépendance.