Pierre Kaldor, dernier témoin d’un épisode peu connu
En avril et mai 1945, l’avocat Pierre Kaldor, alors secrétaire général du Secours populaire, était chargé du rapatriement de quelques déportés communistes depuis les camps de concentration nazis en Allemagne et en Tchécoslovaquie. Pour ce faire, il avait à sa disposition deux bimoteurs que lui avaient remis les Américains. Ces appareils ont été réquisitionnés sur ordre du général de Gaulle pour transporter des soldats à Sétif.
Pierre Kaldor avait été le directeur des Ecoles de la jeunesse communiste de Paris, de 1937 à 1939. Il a été arrêté le 31 octobre 1939 pour diffusion de mots d’ordre d’un parti interdit, le Parti communiste.
Il s’évade en 1943 avec l’aide de sa jeune épouse. Il rejoint alors la résistance et est un des responsables du Front national des juristes. Courant mars 1944, avant l’insurrection parisienne, il est désigné par les organisations de la résistance à la tête du Secours populaire français. Il le restera jusqu’à la fin 1947. Pierre Kaldor était, à partir de fin 1956, pendant la guerre de libération de l’Algérie, le coordinateur du pont aérien des avocats chargés de défendre les patriotes algériens poursuivis.
Je n’étais pas en Algérie au moment des événements du 8 mai 1945 en Algérie, mais j’étais très préoccupé par le problème algérien. Quand les camps de concentration d’Allemagne ont été petit à petit libérés par les Alliés et les Soviétiques, les déportés devaient être rapatriés.
J’ai donc été investi de cette responsabilité, avec Edouard Dutilleul qui avait été le trésorier du parti communiste avant la guerre, sous l’égide du ministère de l’Air, dont le ministre était Charles Tillon (communiste). La France n’avait plus d’avions de transport, ni même militaires.
Il restait quelques petits avions de six à huit places. On était un groupe de quatre. J’ai sollicité les Américains, qui ne demandaient que cela, pour nous donner des avions de transport afin de ramener les déportés en France. J’ai pu obtenir deux avions de transport qui pouvaient contenir 18 personnes allongées ; c’étaient des avions de transport de troupes et non de bombardement. J’ai ainsi fait trois voyages : à Pilsen, Weimar et Dachau. C’était en 1945, au printemps. A Paris, j’ai stationné ces avions au Bourget.
Le 8 ou le 9 mai 1945, je ne peux plus vous dire, je vais au Bourget pour reprendre les avions et organiser deux nouveaux voyages en Allemagne. Il n’y avait plus d’avions. Je téléphone à Charles Tillon, il n’est pas au courant. Sur place, les fonctionnaires de l’aéroport du Bourget me disent que le ministère de la Défense sur ordre de De Gaulle a ordonné la réquisition de ces avions et leur transfert en Algérie.
J’ai appris par la suite que les deux avions ont servi à transporter des troupes françaises pour mâter la manifestation du Constantinois. Dès cette époque, du napalm a été transporté. Naturellement, je suis retourné voir Tillon, il n’était pas au courant.
Maurice Thorez (communiste), qui était vice-président du Conseil, n’était pas au courant, lui non plus. On a répandu l’idée que la répression du Constantinois s’était faite avec l’accord de ministères où il y avait les communistes, or les communistes n’étaient pas au courant. Les ministres communistes étaient dépossédés d’une grande partie des habituelles prérogatives de ministres. Charles Tillon était ministre de l’Air, mais il n’avait pas d’autorité sur les avions militaires, qui n’existaient d’ailleurs pas. Cinq ou six jours plus tard, il y eut un article dans « L’Humanité » qui ne dénonçait pas le rapt des avions qui avaient été mis à ma disposition par les Américains, mais qui indiquait que les communistes ne pouvaient pas être associés aux opérations aériennes dans le Constantinois et qu’ils condamnaient cette répression. Plusieurs autres articles ont paru dans « l’Humanité » condamnant la répression. Dans ces articles, les communistes favorisaient l’idée de la formation d’un front démocratique.
Les communistes tiennent beaucoup à dégager leur responsabilité dans les événements du 8 mai 1945, mais ce que je vous raconte est peu connu, même dans les milieux du parti. Il y a deux ou trois ans, s’est tenue, à Dravel, une réunion des anciens militants de la Jeunesse communiste clandestine. B Beaucoup parmi les présents, qui étaient pourtant bien renseignés sur l’histoire de la guerre d’Algérie, ont été extrêmement étonnés d’apprendre ce que je leur ai raconté. Aussi longtemps que Dutilleul a vécu, il a pu confirmer ce que j’ai dit. Henri Alleg est au courant, mais cela ne figure pas dans son livre. Je suis le seul survivant de cette aventure.
Responsable du pont aérien des avocats.
A partir de fin 1956, j’étais responsable du pont aérien des avocats qui sont allés en Algérie défendre les patriotes algériens, FLN et communistes. J’ai été un des avocats d’Henri Alleg, de Bachir Hadj Ali, mais aussi de dirigeants du FLN. Ce pont aérien se composait d’une soixantaine d’avocats dont les deux tiers étaient communistes.
Je suis celui qui a sans doute fait le plus grand nombre de séjours en Algérie entre 1957 et fin 1960, puis j’ai été expulsé d’Algérie. Nicole Dreyfus en avait fait beaucoup aussi. J’ai encore les tableaux du pont aérien tels que je les établissais avec l’aide de la direction du Parti communiste français. Je recrutais parmi les jeunes avocats. Une jeune stagiaire, par exemple, qui avait accepté de plaider en Algérie, avait pu éviter deux peines de mort qui étaient réclamées. Dans un rapport que j’avais rédigé à l’époque, intitulé « Rôle des avocats communistes », j’écrivais ceci : « Dès le début de la guerre d’Algérie, le PCF prend l’initiative de constituer un collectif d’avocats en vue d’assurer la défense sur place des victimes de la répression, dirigeants et militants du FLN et du PCA... Les avocats non membres du parti y participaient également. Elie Million avait été chargé par la direction du parti de coordonner cette activité en relation avec le collectif des avocats... »
Du 8 octobre 1956 au 18 mars 1962, les participants du collectif ont effectué 211 voyages. Des avocats socialistes ont aussi joué un rôle important. Pierre et René Stibbe, par exemple. Il y avait Jacques Vergès et son collectif. Après le coup d’Etat de Boumediène, j’ai tenté de défendre les victimes de ce coup d’Etat, notamment Mohamed Harbi et des Français qui se trouvaient en Algérie. J’ai été aussi un des trois avocats du 17 octobre 1961 qui ont été alertés la nuit du 17 au 18 octobre. Les deux autres avocats étaient Nicole Rein et Me Radzewski qui travaillait plus particulièrement avec le collectif Vergès.
J’ai défendu en particulier un gérant d’hôtel qui était un champion de boxe amateur connu dans le milieu algérien de Paris, qui s’appelait Malek Amar. J’ai entamé une procédure pour cette affaire-là et, comme pour les gendarmes qui sont des militaires, il n’y a pas de parties civiles devant les tribunaux militaires, je n’ai même pas pu obtenir la copie du dossier. Je m’étais rendu à la morgue, accompagné d’un médecin qui avait été le médecin personnel de Maurice Thorez. Malek Amar était mort d’une balle dans le ventre. Je suis allé jusqu’au bout dans cette affaire. A la suite de ce dossier, un deuxième dossier m’a été confié.
Nadjia Bouzeghrane
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