mercredi 26 décembre 2007

Le 8 Mai 1945 vu par Les Echos de Guelma

Dans quelques numéros de Les Echos, l’Avenir de Guelma, une feuille de chou paraissant le samedi, qui nous ont été offerts par Maoui Khemissi dit Smaïn, les ayant amenés de Paris, nous pouvons lire des extraits édifiants sur l’écrit lui-même et sur cette triste période.

Dans le n°5 du 3 mars 1945, on annonce la prochaine venue du futur bourreau de dizaines de milliers de Guelmis, et pas n’importe quel bourreau : « Un décret paru au Journal officiel délègue M. André Achiary dans les fonctions de sous-préfet de Guelma. » Dans le n°7 du 31 mars 1945, on fait connaissance avec lui. Titre à la une : « M. A. Achiary, sous-préfet de Guelma, a pris possession de ses fonctions », suivi de ces lignes : « M. A. Achiary a pris officiellement ses fonctions de sous-préfet de Guelma mercredi 21 mars. (Il) a, à son actif, les meilleurs états de service. (Il avait eu à) diriger l’important service du contre-espionnage en Algérie. (Il) occupait à Paris le poste d’attaché au cabinet du directeur des Services spéciaux lorsque la confiance du gouvernement de la République l’a placé à la tête de notre arrondissement. » Manquent plusieurs numéros. Mais celui n°11 du 26 mai 1945, un titre à la une : « Heures douloureuses » reprend ce qui s’est passé le 8 mai, selon bien entendu les rédacteurs de Les Echos. On écrit ceci : « C’était le 8 mai. Une date dont vraiment on se souviendra.

Les Guelmois fêtaient la Victoire. Dans l’enthousiasme ! Un enthousiasme comme depuis de nombreuses années nous n’avions vu à Guelma. N’en avait-on pas fini avec la menace allemande ? Inconscients qu’ils étaient de celle toute proche qui planait sur eux, nos concitoyens, entièrement à leur joie, acclamaient sans cesse la France et de Gaulle. Ayant pris rendez-vous pour le bal populaire, ils se dispersaient, lorsqu’une forte colonne de nationalistes musulmans déboucha de la rue Saint-Louis. C’était le prélude à la tourmente qui allait s’abattre sur la région. Résolument, M. Achiary, sous-préfet, et M. Maubert, maire de Guelma, auxquels s’étaient joints M. Champ, adjoint, M. Garrivet, président de la France combattante, M. l’administrateur principal Imbert et M. le commissaire Tocquard se portèrent au-devant des manifestants. Ceux-ci tentèrent de forcer le barrage qui s’était instantanément formé et se trouvait peu après consolidé par les gendarmes, la brigade mobile et une section de tirailleurs.

Les manifestants furent dispersés, mais on comptait deux gendarmes, deux agents de la police d’Etat et un agent de la brigade mobile assez sérieusement blessés. Annulation fut faite des réjouissances qui devaient avoir lieu dans la soirée. La nuit se passa dans le calme, mais un calme précurseur d’orage. Il éclata le lendemain. Dès le mercredi matin, de forts rassemblements d’indigènes armés étaient signalés dans les environs et sur les routes les agressions contre les Européens commençaient. » « Les scènes de sauvagerie n’ont, à travers les âges, hélas, guère varié dans ce pays. » « L’attaque en force des fermes et des villages allaient bientôt suivre.
C’est alors que les autorités, conscientes du péril, décidèrent l’armement de la population européenne. Celle-ci, dans une claire vision du danger qui la menaçait, prit les armes qu’on lui offrait. La garde civique s’était, en quelque sorte, automatiquement constituée et avec elle l’union sacrée. Elle apporta jusqu’à l’arrivée des renforts un concours précieux à l’armée régulière, allégeant d’autant la lourde tâche de celle-ci. Le cadre de notre journal ne nous permet pas un récit détaillé des scènes de sauvagerie et de dévastation qui se déroulèrent dans nos campagnes. Elles n’ont, à travers les âges, hélas, guère varié dans ce pays.
Nous nous bornerons à donner la liste des malheureuses et innocentes victimes qui tombèrent sous les coups des émeutiers. » Suivent quelques noms de colons. Puis l’article reprend ainsi : « Dans cette odieuse soif de carnage et de destruction, digne des hordes hilaliennes, il y eut cependant des faits réconfortants, tels ces fellahs qui, au péril de leur vie, n’hésitèrent pas à cacher ou à prévenir leurs maîtres, ainsi que l’attitude loyale des tirailleurs indigènes qui, sans hésitation, firent entièrement leur devoir (...).

La coopération de l’aviation apporta une aide précieuse, mais la situation resta néanmoins sérieuse jusqu’arrivée jeudi, vers 16 heures, des premiers éléments blindés. Avec l’aide des volontaires, ils dégagèrent fermes et villages et ramenèrent à Guelma les rescapés de ces heures tragiques. Puis les renforts affluant, l’armée reprit rapidement le contrôle de toute la région. »
Dans le n°12 du 9 juin 1945 de cette feuille de chou, après le titre « Après les heures douloureuses », on peut lire ceci : « Le calme est revenu.... Les colons, répondant à la demande de M. le sous-préfet Achiary, ont regagné les centres créés par leurs pères... » Et également un entrefilet portant le titre de « M. le général Martin, commandant le 19e corps d’armée à Guelma », « Le 28 mai, M. le général Martin, commandant le 19e corps d’armée, accompagné de M. le général Duval, commandant la division de Constantine (...), est arrivé à Guelma. M. Marcel Lavie, délégué financier, exprima (au général Martin) avec énergie les désirs de la population et demanda notamment que la légalité soit au besoin défendue par la force. Il souligna au passage que c’était la France et non tel ou tel parti que les insurgés avaient voulu atteindre (...). » Un autre entrefilet fait ressortir qu’« une délégation de la population de Guelma ayant à sa tête M. Maubert, maire de la ville, s’est rendue le 29 mai à la sous-préfecture pour remettre à M. le sous-préfet Achiary une adresse de sympathie signée par 850 chefs de famille de Guelma et de sa région, (...) lui exprimant la reconnaissance inaltérable de ses administrés pour sa magnifique attitude pendant les journées d’émeutes ainsi que leur attachement à sa personne ».

Suit le contenu d’un « télégramme portant mention de cette adresse de sympathie (qui) a été d’autre part adressé au général de Gaulle ». Dans le n°14 du 7 juillet 1945, on lit à la une « Les événements du Constantinois, M. Adrien Tixier, ministre de l’Intérieur, à Guelma ».

Il y a aussi ceci : « Le ministre de l’Intérieur est accueilli à sa descente de voiture par M. Achiary, sous-préfet, M. Maubert, maire de Guelma, et le conseil municipal : MM. Lavie et Lakhdari, délégués financiers de Guelma ; M. le docteur Bendjelloul, membre de l’Assemblée consultative... » Le ministre fera une visite qui l’a conduit à travers cette région, principalement dans certains villages, à Lapaine (aujourd’hui Khezaras), Petit (aujourd’hui Boumahra Ahmed)... Puis « Le maire de Petit, Julia, présente au ministre, qui les complimente vivement, deux musulmans, Guita Larbi et Ben Amara Tahar, qui eurent durant les émeutes une attitude digne d’éloges. » Terrible ! Pas un seul mot sur les dizaines de milliers de morts.
A. Boumaza

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