Incrusté dans la mémoire collective nationale, le mois de mai reste toujours le jalon le plus distinctif et le plus expressif dans l’itinéraire douloureux de notre peuple dans sa dynamique de combat et de lutte pour le recouvrement de sa souveraineté.
Soixante et une années après, le mois du muguet rime toujours avec le mois de Guelma, Sétif, Kherrata..., le mois des massacres de 45.000 civils innocents, cette évocation macabre qui est intimement liée à la définition de l’acte sanglant qui n’est autre qu’un génocide, un crime contre l’humanité, perpétré par le colonialisme français au mépris de toute considération pour les valeurs humaines universelles.
A la même heure où fut signé l’armistice enterrant le totalitarisme nazi et fasciste, des balles meurtrières crépitaient dans nos villes pour abattre des manifestants dans des marches pacifiques, donnant ainsi le feu vert à la soldatesque coloniale, soutenue par des milices de colons européens, de commettre l’horrible carnage dans une « chasse à l’arabe » qui embrase nos régions, où on tira à vue. Les sinistres Achiary et Lestrade-Carbonnel avaient invité les Européens à participer aux massacres : « Messieurs les colons ! Vengez-vous ! ».
Un journaliste américain écrira : « It was an open season », pour dire la chasse à volonté. Les milices exécutaient par groupes de 20 ou 30 personnes. Avant la fusillade, les victimes devaient creuser leurs tombes. Les prisonniers sont transportés en dehors de la ville, à Kef El-Boumba, près d’Héliopolis, où ils sont abattus en chaîne. Des corps arrosés d’essence sont brûlés sur la place publique ou dans les fours à chaux. Des groupes entiers de prisonniers, enchaînés et alignés, sont écrasés par les roues de chars, des nourrissons sont pris par les pieds pour être projetés contre les rochers. Les blindés et l’artillerie, aidés par l’aviation, pilonnent toutes les « zones de dissidence ». L’horreur avait atteint son comble.
C’est pour ces hommes, femmes et enfants qui sont au coeur de la mémoire collective nationale, que se commémorent leur marche du 8 mai 1945, leurs souffrances, leurs martyrs.
Leur emblème lors de cette marche, que le sinistre Achiary avait cru piétiner et déchirer, est toujours là, flottant fièrement entre les mains d’un jeune scout éclaireur de la marche rituelle, suivi par une population attachée dans son recueillement à la dignité, à la reconnaissance et à la gratitude sous le slogan « pour que nul n’oublie ».
Maître Jacques Vergès, avocat français, invité comme conférencier au 4ème Colloque international sur les massacres du 8 mai 1945 organisé à l’université de Guelma, dira en substance à l’adresse des Algériens : « Comprenez que cette liberté pour laquelle vous vous êtes battus avec héroïsme en Italie, en France et en Allemagne ne vaut que pour les Européens. Le scandale est dans les statistiques, où l’on recense plus de morts algériens pour la France au cours de la Seconde Guerre mondiale que des résistants français recensés au cours de la même période ».
« Il y a lieu de s’enrichir de l’expérience du passé, fût-elle celle du malheur. Ne jamais oublier que les victimes du 8 mai 1945 furent traitées de nazis et leurs assassins glorifiés comme des démocrates. Rappelez-vous qu’après le 8 mai 1945, le sort de l’Algérie ne s’est pas réglé dans les « débats gauche-droite » au Parlement français. Il a été scellé le 1er Novembre 1954". « Le crime du 8 mai 1945 est imprescriptible.
Il n’a pas été amnistié puisqu’il n’a pas été reconnu. Un procès est donc toujours possible, soit devant une cour algérienne, soit devant la Cour pénale internationale.
L’avocat finit dans sa conclusion : « Mais la France, non pas celle qui ordonne de glorifier le colonialisme dans les manuels scolaires, mais celle du discours de Pnom-Penh, celle qui a refusé l’agression contre l’Irak, celle qui a reconnu sa responsabilité envers les juifs livrés aux nazis, cette France-là s’honorerait en reconnaissant sa responsabilité dans les massacres du 8 mai 1945 et sa dette envers le peuple algérien ».
La marche, reconstituée chaque 8 mai à seize heures, sera toujours là pour convoquer le colonialisme qui sue encore le crime, à comparaître devant le tribunal de l’histoire et subir devant le forum des hommes la confrontation avec les voix audibles du silence des victimes. Tant qu’il y aurait des hommes, le livre demeurerait ouvert
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire