Ce jour-là, vers 16 heures à Annaba...
« (...) Une foule considérable avait littéralement envahi la place Stambouli et les artères de la Colonne. Tous les partis nationalistes et religieux, P. P. A., Amis du manifeste, Association des oulémas, scouts El Mouna, y étaient présents.
Contenu par un service d’ordre de la police qui veillait à ce qu’aucun emblème ne fût déployé, ce cortège calme et coloré devait se rendre au monument aux morts pour y déposer une gerbe de fleurs, de là longer le cours de la Révolution, puis se disperser dans l’ordre. Parmi ces quinze à vingt mille manifestants, on comptait de nombreux jeunes gens accourus de la plaine. Par leurs turbans, ils se détachaient d’un fond blanc, comme le symbole d’une union totale avec leurs frères de la ville.
Il y avait également une très forte délégation de femmes et d’enfants. Mais au moment où s’amorçait le reflux vers la rue Emir Abdelkader, dès que parvenu devant les Halles centrales, soudain des pancartes et des banderoles portant l’inscription « Tahya el houria », « Yahya el istiklel » furent brandies tandis qu’un drapeau aux couleurs nationales - en ce moment croissant rouge sur fond vert - apparaissait au-dessus des têtes. Le geste des policiers à vouloir s’en emparer déchaîna instantanément une tempête de cris, de clameurs, un désordre inouï, indescriptible... Ces manifestants réagirent donc avec violence et une promptitude telle qu’ils laissèrent plusieurs policiers étendus à terre, plus ou moins gravement blessés.
A ce moment, on vit aussi des groupes d’hommes surgir des rues environnantes. C’étaient tous des pieds-noirs, armés de chaînes, gourdins, bouteilles, qui venaient prêter main-forte aux policiers... En quelques instants, il y eut de part et d’autre des corps allongés. Vers 17 heures, sur le cours de la Révolution, où l’émeute s’était étendue et où les terrasses des cafés et les kiosques à tabac avaient été saccagés, manifestants et contre-manifestants se trouvèrent brusquement engagés dans des combats avec échanges de projectiles, paralysant ainsi toute circulation ; et tandis que dans leurs quartiers respectifs musulmans et pieds-noirs se rassemblaient en vue de s’entre-tuer, soudain les sirènes d’alarme se mirent à annoncer le début d’un couvre-feu.
Le commandant de la place, qui ne voulait pas de cet affrontement, avait ordonné cette sage mesure... (...) La nuit, durant ce couvre-feu, ce fut la riposte des policiers qui maintint les musulmans sur le qui-vive. Jusqu’au lever du jour, afin de venger les siens, cette horde et ses sbires à chéchia se mirent à violer les domiciles et à procéder à l’arrestation de tous ceux qui étaient soupçonnés de faire partie du P. P. A., des Amis du manifeste, de l’Association des oulémas, tandis que les camions de l’armée anglaise les transportaient vers le camp d’internement de la Madrague où séjournaient, depuis avril 1943, les prisonniers de guerre italiens. Ceux qui, on s’en souvient, avaient été capturés lors de l’offensive allemande sur Tebessa. Ces Italiens, quelques heures auparavant groupés en une milice armée par les autorités, avaient reçu l’ordre de faire feu sans sommation sur tout Arabe qui tenterait de fuir.
Ainsi donc, par la loi des colonialistes, les vaincus devenaient les vainqueurs et ceux qui avaient contribué à la victoire du 8 Mai étaient livrés à leur merci. Mais à El Hadjar, Dréan, Bouchaggouf et Medjez-Sfa, c’était beaucoup plus grave. Dès le 9 au matin, on constitua des pelotons d’exécution face auxquels toute une jeunesse fut fauchée comme blés murs... A Guelma c’était le pire... »
H’Sen Derdour, Annaba
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