mardi 6 novembre 2007

La France et son passé colonial Algérien

Le lent processus de la reconnaissance

Le 60e anniversaire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata , le 8 Mai 1945, est célébré cette année en France comme il ne l’a jamais été. A l’initiative d’associations d’enfants d’immigrés algériens comme Au Nom de la mémoire, de la Ligue des droits de l’homme ou encore du PCF pour ne citer que les manifestations les plus saillantes.
Le mur du silence se fissure. Il a fallu pour cela un "long travail de fourmis" comme pour d’autres événements d’importance, à l’exemple de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et sa violente répression, observe à juste titre le président de Au Nom de la mémoire, Mehdi Lallaoui. Mais si le silence est levé dans la société française, la reconnaissance officielle par l’Etat français, et à son plus haut niveau, est un processus qui mûrit lentement. Certes, des signes et des gestes dans ce sens ont été accomplis comme celui du maire de Paris qui a inauguré en 2001 une plaque sur le pont Saint-Michel à la mémoire des victimes de la répression du 17 octobre 1961 ; certes, un premier pas d’importance a été franchi au sujet des massacres du 8 mai 1945 par l’ambassadeur de France en Algérie. L’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, a affirmé, lors de sa visite à Sétif, le 27 février 2005, que les massacres du 8 mai 1945 commis dans le Constantinois étaient une "tragédie inexcusable".
Paroles et gestes symboliques
Faut-il s’arrêter à mi-chemin ? Le président d’Au Nom de la mémoire, Mehdi Lallaoui, traduit un sentiment largement partagé lorsqu’il dit : "Le président de la République française vient de commémorer le génocide arménien, c’est très bien ; mais la France ne s’est pas rendue coupable en Arménie, la France s’est rendue coupable en Algérie. Ce qu’on attend en ce mois de mai, et avant toute signature de pacte d’amitié, c’est une parole forte." Alors qu’il était en visite à Alger le 26 avril, Bertrand Delanoë déclarait que "la colonisation est un fait historique particulièrement regrettable" et "quand des fautes sont commises, tout le monde doit les regarder en face". Et à une question d’un journaliste : "Quand Willy Brandt s’est mis à genoux pour demander pardon au nom de l’Allemagne, il a grandi l’Allemagne", a-t-il jugé. "On ne s’abaisse pas quand on reconnaît ses fautes", affirme M. Delanoë. Même s’il a pris la précaution de commencer par préciser qu’il s’exprimait en tant que "citoyen", qu’il n’est pas "l’envoyé d’un parti politique" et qu’il n’a "aucune qualité pour parler au nom de la France", Bertrand Delanoë est tout de même un homme politique d’importance et maire de la capitale française. "Il faut oser la vérité", a dit encore M.Delanoë pour qui "la colonisation n’est pas un fait positif". L’ambassadeur Hubert Colin de Verdière, interrogé par Europe 1 après sa déclaration à Sétif, avait affirmé que "la voie se libère" et que le pardon interviendra "au moment opportun". "Pourquoi anticiper les étapes ?" Et d’indiquer que la prochaine étape dans les relations algéro-françaises sera le traité d’amitié. Lorsque son homologue algérien en France, Mohamed Ghoualmi, a remis lundi 2 mai une médaille de reconnaissance de l’Algérie à 8 militants anticolonialistes qui ont soutenu la lutte de Libération nationale (Henri Alleg, Anne Preisse, Janine Cohen, Simon Blumental, Lucien Hanoune, Jules Molina et, à titre posthume, Paul Caballero), il leur a affirmé : "L’Algérie vous honore non seulement pour votre passé, mais aussi pour l’avenir, l’avenir des relations algéro-françaises." Et l’avenir des relations algéro-françaises a pour fondement essentiel la restitution du passé en toute objectivité, sans occultation, sa transmission aux jeunes générations qui, pour mieux construire leurs identités citoyennes, ont besoin de connaître ce passé.
Mises en garde contre l’imposition d’une vérité officielle
La reconnaissance est une étape essentielle de l’écriture par la France de son histoire coloniale. "Dans la mesure où des officiels français invitent d’autres pays à réviser leur histoire, ils devraient donner l’exemple et se départir d’un rapport schizophrénique à la leur. L’article IV de la loi du 23 février 2005 adoptée par la représentation nationale n’est pas un pas dans la bonne direction. Fort heureusement, cette loi a suscité une levée de boucliers chez les historiens", estime Mohamed Harbi (lire interview dans les pages de ce dossier). L’enseignement de l’histoire coloniale trouve ses limites dans la loi du 23 février 2005 "portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" et, plus particulièrement, son article 4. Des centaines d’historiens et d’enseignants demandent l’abrogation parce que "cette loi, en ses articles 1er et 4, a des implications sur l’exercice de notre métier : elle dénature les engagements scientifiques, pédagogiques, civiques de notre discipline". Les enjeux de mémoire semblent avoir animé les rédacteurs et les députés qui ont adopté cette loi (une trentaine de députés présents dans l’hémicycle ce vendredi 23 février 2005). Dans leur plateforme de demande d’abrogation, les historiens considèrent qu’en ne retenant que le "rôle positif" de la colonisation comme vérité officielle, elle (la loi du 23 février 2005) impose un mensonge officiel sur des ignominies, le travail forcé, le racisme inhérent au fait colonial, des crimes qui purent aller jusqu’au massacre de masse, toutes vérités qui pèsent encore lourd sur le présent. Des victimes, l’historien doit parler de toutes, sans exclusive, et pas seulement de celles liées au processus d’indépendance des colonies"... "C’est une loi de glaciation. Elle va à l’encontre des acquis de la recherche historique et des aspirations des derniers témoins de cette histoire qui souhaitent mettre fin aux entrechocs du passé pour engager des débats sereins". "Elle encourage ceux qui réactivent aujourd’hui les réflexes nationalistes et conforte, par contrecoup, ceux qui prônent l’enfermement communautaire des groupes disqualifiés, ainsi interdits de passé."
Combat d’arrière-garde ?
L’historien Gérard Noiriel note que "les enjeux de mémoire sont devenus des enjeux politiques majeurs dans la société actuelle" (ndlr : conférence de presse sur la loi du 23 février 2005 au siège de la Ligue des droits de l’homme, El Watan, avril 2005). Charles-Robert Ageron a également mis en garde contre la "guerre des mémoires" parce qu’"elle est irrémédiable". "Il faut arriver à historiser la guerre d’Algérie." Et d’ajouter : "Les enfants ont le droit de connaître la même vérité, la même histoire scientifique, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée." Mais "c’est trop tôt de faire l’histoire neutre, impartiale, honnête que méritent les Algériens et les Français" (colloque les 23, 24 et 25 novembre 2003, qui lui rendait hommage et auquel une quarantaine d’historiens français et algériens y avaient pris part). Gérard Noiriel estime que "le fait d’ordonner aux enseignants de mettre l’accent sur les "aspects positifs" de la colonisation ne peut que contribuer au sentiment d’humiliation dont souffrent aujourd’hui la majorité des Français issus de l’immigration et dont beaucoup ont subi dans leur chair les violences coloniales. Cette humiliation supplémentaire risque d’accentuer le repli sur soi que l’on constate chez certains d’entre eux." (op. cit.). Claude Liauzu, professeur émérite à l’université Denis-Diderot, Paris 7, un des principaux initiateurs de la pétition demandant la suppression de la loi explique : "Nous avons réagi, parce que, historiens, nous ne pouvons accepter qu’une loi nous impose une vérité officielle, quelle qu’elle soit. Nous aurions affirmé le même refus si les parlementaires avaient prétendu nous faire dire que la colonisation a été une réalité négative." (Ndlr : El Watan du jeudi 14 avril.) Il ajoute : "C’est une loi de règlement de compte. Ce texte, si aberrant qu’il ne peut pas faire autorité, a été adopté par une poignée de députés dans des conditions inacceptables." "A l’aube du XXIe siècle, on prend en otages - d’une guerre de mémoire qui n’a jamais cessé depuis 1962 - les petits-enfants des protagonistes ; on prend en otage la nation au profit d’activistes de la nostalgérie." Selon Claude Liauzu, ce qui se cache sous ce texte de loi est encore plus inquiétant. "Les élus et le gouvernement devraient s’informer sur certains de leurs conseillers, sacrés historiens pour l’occasion comme le Cercle algérianiste." L’historien Mohamed Harbi rappelle que "depuis des années nous essayons de parvenir à un dégel et de faire travailler ensemble des historiens algériens et français. Cette loi vient au secours du parti de la glaciation ici comme en Algérie". (Ndlr : El Watan du jeudi 14 avril.) Dans un texte signé par de très nombreuses personnalités, la Ligue des droits de l ’homme souligne qu’"en dictant une vision partielle et partiale de l’Histoire, le Parlement tente d’exonérer la République de ses responsabilités... Oublier les centaines de milliers de victimes qu’a entraînées la volonté d’indépendance et de dignité des peuples que la France a colonisés, c’est nier les atteintes aux droits de l’homme qu’ils ont endurées et les traiter, ainsi que leurs descendants, avec mépris".
Un message pour l’avenir
En s’adressant au groupe d’anticolonialistes qu’il a reçus à l’ambassade d’Algérie, le représentant de l’Etat algérien en France a souligné : "Vous donnez une image censée représenter les valeurs de la République française. Vous avez été impliqués dans une lutte au nom de valeurs que vous avez estimées être celles de votre pays." Et après avoir noté "une remontée du néocolonialisme dans certaines franges de la société française", l’ambassadeur algérien, relevant les noms chrétiens et juifs des hôtes de l’Algérie, a souligné : "C’est un message formidable pour l’avenir de nos deux pays." Ce n’est pas là une parole de diplomate, mais une conviction largement partagée des deux côtés de la Méditerranée.
Les principales dispositions de la loi du 2 février 2005 portant « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés »
Article 1er : Reconnaissance de l’œuvre de la France outre-mer « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage. »
Article 4 : Ce rôle positif sera enseigné « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. » Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée. »
Articles 5 à 11 : Droits des harkis
Article 13 : Indemnité forfaitaire (et non imposable) au bénéfice de « personnes [...] ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie [...], de condamnations ou de sanctions amnistiées [...] ».
Nadjia Bouzeghrane

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